Accueil La liberté d’entreprendre, la liberté du commerce et de l’industrie par Xavier BIOY

La liberté d’entreprendre, la liberté du commerce et de l’industrie par Xavier BIOY

Contours indéfinis. – Dans une économie toujours plus libérale et mondialisée, la liberté d’entreprendre se voit protégée par l’ensemble des juridictions en dépit d’un certain silence des textes eux-mêmes. Cela n’empêche pas le législateur français et parfois européen de mettre en œuvre des mécanismes de finalisation de cette liberté, ne lui accordant des aides et des supports qu’à la condition de s’inscrire dans une politique publique donnée. L’objet de cette liberté est en fait multiple : liberté du commerce et de l’industrie, liberté professionnelle, d’établissement… Les limita­ tions relatives à l’ordre public demeurent elles aussi d’actualité.

  1. Les sources

Consécration. – La liberté d’entreprendre naît directement des textes révolutionnaires84 qui ouvrirent tout négoce, activité, art ou métier à tous afin de détruire le pouvoir des corporations.

Toute activité économique peut se réclamer de cette notion. Contrairement à d’autreslibertés moins consensuelles,la liberté d’entreprendre et d’agir sur un marché se voit reconnue en ces termes par l’ensemble des sources et juridictions. Le Conseil constitutionnel a affirmé. dans sa décision relative aux nationalisations, que «la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à

pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées àla liberté d’entreprendre »85   Le Conseil définit la liberté

d’entreprendre comme «la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais

 

également [comme] la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité »86

La Cour de

 

cassation s’y réfère comme «principe général dela liberté d’entreprendre »87 Le Conseil d »État en a fait un principe général du droit administratif88. Si la Charte de l’UE l’évoque [art. 16 : « La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales »),la Cour de justice l’avait devancée89

 

Il. Les objets

 

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Liberté du commerce et de L’industrie. La liberté d’entreprendre apparaît comme un conceptlarge qui abrite, au fil de la jurisprudence, d’autres notions plus précises. La liberté du commerce et de l’industrie est un élément de la liberté d’entreprendre reconnu par le juge constitutionnel90,le juge judiciaire91,le juge communautaire92  et le juge administratif93•   Cela implique      de pouvoir créer une entreprise, c’est-à-dire la liberté de choisir et de modifierl’objet de son entre­ prise et celle d’en maîtriser aussila forme (de s’y associer le cas échéant), mais aussila liberté d’en organiserla gouvernance94 et de recruter. licencier, sanctionnerles salariés dans le respect du droit social95• Dans ses décisions Loi de modernisation sociale96 et Loi visant à reconquérir /’économie réelle97

le Conseil constitutionnel semble également consacrerla liberté de mettre fin à une activité écono­ mique. La liberté de « cesser une activité » entre ainsi dans la liberté d’entreprendre comme son volet négatif98.

 

Liberté professionnelle en droit interne.– La liberté d’entreprendre protège également la liberté de l’activité professionnelle reconnue parle Conseil constitutionnel99• Elle bénéficie aux entre­ prises privées, aux travailleurs indépendants [activités libérales incluses). ainsi qu’à toute personne physique souhaitant acquérir, créer une entreprise ou accéder à des professions en indépendance

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d·exercice. Cela vaut aussi pour le libre exercice de la profession médicale100   À propos du «lancer  de nain », l Conseil d’État a d·ail eurs affirmé que «le respect du principe dela liberté du travail et    de celui de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police municipale interdise une activité même licite si une tel e mesure est seule de nature à prévenir ou faire cesser un trouble à l’orcfre public », associant clairement  les deux notions. Le Conseil d’État reconnaît ainsi la liberté d·accéder à une profession sous la forme du

 

« libre accès à l’exercice par les citoyens de toute activité professionnelle »101

Le juge judiciaire

 

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protège la «liberté fondamentale consistant dansle droit d.exercer une activité professionnel e »102  qui implique de pouvoir changer d·employeur103

 Liberté professionnelle en droit européen. – Selon l’article 15 de la Charte de l’Union euro­ péenne : «Toute personne a le droit de travail er et d’exercer une professionlibrement choisie ou acceptée »; ce que le juge communautaire admettait déjà104• La jurisprudence de la CEDH protège également indirectement la liberté professionnelle. Si la Cour a conscience quele droit d·accès à    une profession n’est pas garanti en tant que tel parla Convention, elle fait référence à l’article 8,le respect de la vie privée, qui implique de pouvoir choisir la profession que l’on souhaite exercer. Le droit d·exercer une activité professionnelle entre en effet dans le champ dela vie privée à propos de l’interdiction faite à d’anciens agents du KGB de travail er dans la fonction publique et dans

 

divers domaines du secteur privé pendant une dizaine d’années105

Cela peut se faire ensuite parle

 

prisme de l’article 1 §2 de la Charte sociale européenne qui mentionne le droit de gagner sa vie par un travail librement entrepris (tel quïnterprété par le Comité européen des droits sociaux qui lui-même avait considéré que les interdictions d’exercer un emploi portent atteinte au droit de nouer des relations personnel es). C’est également le cas de diverses incompatibilités d’emplois

 

pour les personnes condamnées au titre de certaines infractions106

Cela se joue également par le

 

prisme de l’article 14, couplé avec un autre droit de la Convention, par exemplele respect des convictions religieuses. Dansl’arrêt Thlimmenos c. Grèce du 6 avril 2000, la Cour a ainsi censuré la législahon qui interdit l’accès à la profession d’expert-comptable aux personnes ayant subi une condamnation pénale, à propos d’un témoin de Jéhovah condamné pour avoir refusé de porter l’uniforme.

Libre concurrence. – Laliberté d·entreprendre implique a.ussi aujourd·hui «la libre concur­ rence» au sens de laliberté accordée à chaque acteur d·exercer son activité sur un marché. Ainsi, selonle Conseil constitutionnel,le libre accès à la commande publique organisé par l’article 1erdu  Code des marchés  publtcs107 n·est que la concrétisation des «principes qui découlent des arti­ cles 6 et 14 de la Déclaration de 1789 »108 Inversement, la liberté d’entreprendre peut impliquer une forme de secret des affaires qui s’inscrit dans une concurrenceloyale. Le Conseil constitutionnel109 a censuré l’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux pays par pays, étant de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs qui interviennent

sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industriel e et commerciale, ce qui constitue une atteinte disproportionnée àla liberté d’entreprendre et sont ainsi contraires à la Constitution.

 

  1. Les Limites

Rôle de la loi.- Il revient aulégislateur [art.34 Const.1 d’encadrer la liberté d’entreprendre110   Ilen va de même des libertés des professions libérales111 Il estloisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général à la condition que celles-ci n’aient pas pour consé­ quence d’en dénaturer la portée ou d’avoir des effets disproportionnés au regard de l’objectif112

 

Jurisprudence administrative. – Le ju e administratif n’en a pas moins été saisi du respect de ces règles. Enleur absence, le principe général du droit prévaut, mais aussi la liberté fondamentale puisquela voie du référé-sauvegarde est ouverte113• Les règles traditionnelles de la police adminis­ trative  s’appliquent  ici  particulièrement La limitation  d’activité  économique  doit  répondre  à  une

 

évidente nécessité et à une proportionnalité pesée114

Le juge administratif 115  a ainsi admis qu’eu

 

égard aux caractères géographiques et économiques du territoire de la Polynésie française, l’auto­ rité territoriale compétente a pu légalement limiter à une seule île le lieu d’exercice de l’activité d’entrepreneur de taxi. En revanche, en posant en principe quel’octroi d’une licence est attaché à

la propriété cf un taxi et dans la limite d’une seule licence par personne et en interdisant également

à l’exploitant de faire appel à des suppléants ou des salariés remplissant les qualifications requises, l’administration a porté une atteinte excessive àlaliberté du commerce et de l’industrie. Face à une interdiction de vente par colportage pendant toute la durée de la saison balnéaire sur toutes les

plages d’une commune,le Conseil d’Ëtat estime «qu’aucune disposition législative ne permettait au maire d’édicter une interdiction aussi générale et absolue, portant atteinte àla liberté du commerce et de l’industrie, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la vente par colportage était susceptible de porter atteinte à la salubrité, à la sécurité et à la tranquillité publique à toutes les

heures de la journée »116                                                                                                                     ·

 

Intérêt général et ordre public. – En vue de protéger l’intérêt général, la loi peut ainsi soumettre à autorisation la participation des personnes privées à l’exécution du service public de Sécurité sociale117•  El e peut instituer la prohibition de publicité ou de propagande au nom de la

 

protection de la santé publique [tabac, alcool] qui ont valeur constitutionnel e118

Tout comme elle

 

définit valablement les critères au vu desquels est accordée l’homologation, par l’autorité adminis­ trative, des tarifs conventionnels des établissements d’hospitalisation privés en visant la maîtrise de l’évolution des dépenses de santé119  Le Conseil constitutionnel admet encorela constitutionnalité de

l’article 225-10 du Code pénal qui réprimele fait, par quiconque, de vendre, delouer ou de tenir à la disposition d’une ou plusieurs personnes, des véhicules de toute nature en sachant qu’elles s’y

livreront à la prostitution . La liberté d’entreprendre des vendeurs et loueurs de véhicules trouve sa limite dans le fait de contribuer, en toute connaissance de cause, à des activités illicites ou

 

contraires à l’ordre public120

Enfin, il a concilié le principe de la liberté d’entreprendre et l’objectif

 

de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public en soumettant l’organisation de jeux en ligne à un régime d’agrément préalable accordé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne, chargée de contrôler le respect des obligations et de participer à la lutte contre les opérateurs

 

illégaux121

En vue de protéger l’intérêt général, la loi peut encore instituer des droits exclusifs au

 

ID                       profit d’un établissement public s’agissant de l’exécution des opérations de diagnostic et de fouilles d’archéologie préventive 122• Elle peut accorder un droit d’accès aux décodeurs et aux guides électro­ niques de programmes au bénéfice des éditeurs de services de télévision au nom de l’intérêt général s’attachant à la diversification de l’off re de programmes et la liberté de choix des

 

utilisateurs123

La réduction du temps de travail légal à 35 heures ne porte pas une atteinte dispro­

 

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portionnée à la liberté d’entreprendre124

Le Conseil constitutionnel admet la constitutionnalité des

 

dispositions du Code des transports qui limitent l’accès de certains véhicules à l’activité de taxi et impose un régime d’autorisation, tout en jugeant disproportionnée la peine encourue en cas de viola­

 

tion de cette interdiction 125

Le législateur peut chercher à améliorer l’exécution effective et rapide

 

des décisions de l’Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration en donnant des pouvoirs d’adaptation au Président de cette Ml, la liberté d’entreprendre n’imposant pas que les décisions en cause soient prises par une autorité collégiale126

 


Point de vue judiciaire.
– Du point de vue judiciaire, il reste établi que les contrats ne peuvent nuire à la liberté d’entreprendre qu’à la condition de le faire de manière limitée dans le temps et dans l’espace127• Cela s’applique aux clauses de non-concurrence 128  d’exclusivité…